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L'Environnement : Quels Enjeux pour les Entreprises

Conférence de Maître Joëlle Herschtel
21 mai 2015

Le droit de l’environnement est une discipline récente qui s’est développée avec la montée des préoccupations environnementales de la société. Depuis le début des années 60, une centaine de lois environnementales ont été adoptées, complétées d’un millier de décrets et d’environ 10 000 arrêtés, sans oublier plusieurs milliers de circulaires d’application. Au plan communautaire, près de 500 directives et règlements ont été adoptés. Les entreprises européennes doivent tenir compte des aspects environnementaux, non seulement pour respecter la règlementation mais également pour se développer de manière durable et rester compétitives sur le marché mondial.
  Aujourd’hui, il est néanmoins nécessaire de s’orienter vers un mouvement de simplification d’un droit considéré comme complexe car résultant d’empilements successifs. Ce droit doit être simplifié mais sans être appauvri ni dénaturé afin de gagner en lisibilité et en efficacité et de pouvoir garantir davantage de sécurité juridique.
L’ENTREPRISE AU CŒUR DE LA PROTECTION DE L’ENVIRONNEMENT

Des considérations sanitaires et écologiques à l’origine du droit
 
° Des considérations de sécurité et sanitaires
  Le droit à un environnement sûr : dès le début du 19e siècle, les établissements de l’industrie naissante sont classés selon leur degré de nocivité pour le voisinage entraînant leur éloignement des habitations. Au début du 20e siècle, les activités qui sont répertoriées en fonction de leur gêne ou de leur dangerosité potentielle, doivent être soit déclarées soit autorisées. Aujourd’hui, la loi du 19 juillet 1976 protège non seulement la sécurité, la salubrité publique ou la commodité du voisinage mais également la nature et l’environnement, les sites et les monuments ainsi que la santé publique. Cette loi connaît plusieurs grandes réformes notamment pour assurer la transposition des directives européennes qui auront un impact très fort sur le droit de l’environnement national.
  Souvent, ce sont des accidents qui sont à l’origine d’évolutions du droit de l’environnement. Par exemple, l’explosion d’un réacteur chimique d’une société située à Seveso en 1976 a fait naître un débat important sur les risques provoqués par les dioxines mais aussi sur la prévention des risques technologiques. En 1982, 1996 et 2012, les directives dites « SEVESO » mettent en place un dispositif global de prévention des risques.
  De même, l’explosion de l’usine AZF a été à l’origine de la loi du 30 juillet 2003 sur la prévention des risques naturels et technologiques. Les plans de prévention des risques technologiques (PPRT) sont dorénavant destinés à permettre aux sites industriels de poursuivre leurs activités tout en préservant et protégeant les riverains. Ces PPRT sont financés par les industriels concernés, les collectivités locales et l’Etat.
   Le droit à un environnement sain : la notion de santé environnementale émerge dans les années 1990 (conférence d’Helsinki en 1994). Reconnaître les risques pour la santé auxquels est exposé l’être humain dans son « environnement », implique de gérer, contrôler et prévenir les facteurs environnementaux susceptibles d’affecter la santé des générations actuelles et futures. Le rapport de l’OMS de 2006 n’énonce-t-il pas qu’un quart des maladies dans le monde est causé par des expositions environnementales qui auraient pu être évitées ?
  Or ces facteurs environnementaux sont nombreux : qualité de l’air extérieur et intérieur, nanoparticules, pesticides, autres polluants, qualité de l’eau et des sols, changement climatique et ses effets sanitaires (canicule, maladies émergentes)…
  Aujourd’hui, le droit à un environnement sain est reconnu par la loi Barnier de 1995 et par la Charte de l’environnement de 2004. La loi LEPAGE du 30 décembre 1996 sur l’air reconnaît à chacun le droit de respirer un air qui ne nuise pas à sa santé, la surveillance et la gestion de la qualité devant être assurées par l’Etat. La loi du 12 juillet 2010 dite « Grenelle II » introduit la référence à l’air intérieur. Quant aux substances chimiques, un règlement communautaire intitulé « REACH » concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques ainsi que les restrictions applicables à ces substances, permet de contrôler la fabrication, l’utilisation et la mise sur le marché de substances chimiques.
° Des considérations écologiques
  La prévention contre la destruction d’écosystèmes : au niveau international, la protection des espèces et des habitats prend la forme de conclusions de conventions (végétaux, zones humides, commerce international d‘espèces menacés…). Au niveau national, avec la loi du 10 juillet 1976, la protection de la nature devient d’intérêt général.
  Au niveau européen, c’est le réseau Natura 2000 (un régime de protection d’espèces et d’espaces) défini par les directives « Oiseaux » de 1979 et « Habitats » de 1992 qui permet de limiter les atteintes à la nature. La désignation d’un site Natura 2000 n’exclut pas pour autant la mise en œuvre de projets d’aménagements ou la réalisation d’activités humaines, sous réserve toutefois qu’ils soient compatibles avec les objectifs de conservation des habitats et des espèces. Un projet portant atteinte à une zone Natura 2000 peut cependant être autorisée sous certaines conditions restrictives.
  En tout état de cause et dès 1976 (loi du 10 juillet sur la protection de la nature), tout projet industriel susceptible d’affecter l’environnement, dès lors qu’il atteint un certain seuil, nécessite la réalisation d’études d’impact afin de tenter d’en évaluer puis d’en éviter, atténuer ou compenser les effets négatifs. Ces dispositions ont encore été étendues et renforcées par la loi « Grenelle II ».
  La prise en compte de la rareté de la ressource naturelle : la prise de conscience de cette rareté et l’émergence de la notion de développement durable ne se font qu’au milieu des années 80. Depuis lors et sur le plan international et national, les pouvoirs publics cherchent à limiter l’exploitation de cette ressource (instauration de quotas de pêche, limitation de la déforestation, réglementation des gaz à effet de serre pour limiter la détérioration de la couche d’ozone etc.).
Un droit contraignant à l’efficacité parfois discutable
     ° Un droit contraignant pour les entreprises
  C’est d’abord un droit peu lisible, en raison de sa complexité liée à sa proximité avec la science et les technologies. Le règlement « REACH » sur les substances chimiques en est un exemple. L’encadrement juridique encore balbutiant des nanomatériaux, substances de plus en plus présentes dans les denrées alimentaires, les produits de santé, les cosmétiques, les substances chimiques et dont l’utilisation suscite incertitudes et inquiétudes, en est un autre.
  C’est ensuite un droit qui souffre de disparités dans l’application des directives européennes. Ces disparités sont dues  ou à une sur-transposition (ajoutant des contraintes supplémentaires) ou alors à une sous-transposition des directives dans le droit national créant des écarts de législation entre la France et les autres états membres. En outre, les directives européennes laissent souvent aux états membres certaines options. Enfin, elles font,  parfois, l’objet d’applications différenciées d’un état à l’autre comme par exemple dans la directive-cadre sur les déchets.
  C’est finalement un droit dont les contraintes sont amplifiées par sa complexité et sa perpétuelle évolution. Il n’y a pas seulement une inflation normative mais aussi un éparpillement des normes qui crée une sensation de compilation et de confusion. L’insécurité juridique et le coût dû au respect des normes peuvent alors être paralysants pour les opérateurs : autorisations environnementales multiples à solliciter, nécessité de recours à des bureaux d’études pour préparer les dossiers d’autorisation, longueur des procédures, risque d‘annulation en cas de contentieux etc.).
  Les entreprises continuent longtemps à porter le poids de leur passé industriel et des pollutions historiques : pendant trente ans à compter de la cessation d’activité, l’administration peut imposer au dernier exploitant, à son successeur ou même à titre subsidiaire au propriétaire du terrain (loi du 24 mars 2014 dite « ALUR ») des mesures de dépollution d’un site.
          ° Une efficacité de ce droit parfois discutable
  Ce manque d’efficacité serait d’abord à mettre sur le compte de sanctions administratives et pénales, pour des atteintes à l’environnement, très inégalement appliquées (par manque de moyens) hétérogènes et rares (environ 2% des procédures traitées par les parquets). Une réforme récente (ordonnance du 11 janvier 2012) tente d’ailleurs de remédier à ces critiques par une harmonisation et une simplification des dispositions du code de l’environnement ainsi que du droit pénal de l’environnement qui ajoute de nouvelles sanctions. Le récent rapport professeur Neyret va plus loin en proposant de sanctionner les écocrimes et les écocides.
   L’efficacité de ce droit se heurte au caractère inappropriable de la nature : s’il y a reconnaissance du préjudice écologique  qui prend en compte le dommage subi par le milieu naturel dans ses éléments inappropriés et inappropriables (affaire de l’Erika), comment réparer efficacement le préjudice porté aux écosystèmes? Qui doit être indemnisé et, faute de réparation en nature, comment évaluer le préjudice écologique ?

VERS UNE ENTREPRISE AU SERVICE DE L’ENVIRONNEMENT

Meilleure accessibilité du droit de l’environnement
 
° Simplification et modernisation des règles pour les entreprises

  A partir du Grenelle de l’environnement (2007) s’est engagée une nouvelle forme de participation des différentes parties prenantes en vue de faire évoluer le droit de l’environnement.
 
  Depuis 2012, le Ministère de l’environnement organise annuellement des conférences environnementales autour de tables rondes consacrées à différents thèmes. Ces thèmes se traduisent par des feuilles de route définissant des programmes de mesure.
 
  Parallèlement, les consultations menées au cours des Etats généraux de la modernisation du droit de l’environnement (printemps 2013) ont permis de dresser un diagnostic des qualités et défauts du droit de l’environnement et de définir une feuille de route à l’adresse du gouvernement en vue de sa modernisation.
 
  Il en est notamment résulté ce qui est qualifié de choc de simplification appliqué à ce droit dont un exemple est la loi du 12 novembre 2013 qui soumet 1200 procédures au principe du silence vaut l’accord dont 41 concernent le droit de l’environnement. Toutefois, de nombreuses exceptions à ce principe sont également prévues ce qui conduit à un effet pervers : il est difficile de savoir si une demande est soumise à la règle du silence vaut acceptation ou si le silence de l’administration vaut, par dérogation, rejet.
 
  Dans le même contexte de simplification, depuis mars 2014 une autorisation unique pour certains projets est expérimentée (éoliennes, installations classées et ouvrages soumis à la loi sur l’eau) : interlocuteur unique, procédure unique, autorisation unique et, au bout du compte, une simplification et une accélération pour la réalisation des projets, tout en assurant  le contrôle de l’Etat et la consultation des parties prenantes et du public. L’expérimentation d’un certificat de projet (énumération, à l’instar d’un certificat d’urbanisme, des législations afin de les « cristalliser » pour assurer une plus grande sécurité juridique et une plus grande visibilité pour les entreprises) va dans le même sens.
 
          ° L’association des entreprises à l’élaboration de la norme environnementale

  C’est une originalité du Grenelle de l’environnement d’avoir associé les entreprises ainsi que les associations de protection de l’environnement et les salariés au dialogue dès le stade d’élaboration et de propositions d’actions. Ce « dialogue environnemental » ainsi que la démarche multi-acteurs sont repris dans le cadre des  Conférences environnementales annuelles. On doit tout de même constater que les entreprises sont sous-représentées en nombre de représentants et en temps de parole.

  De même, les organisations d’employeurs constituent un des six collèges de membres du Conseil national de la transition écologique (CNTE), créé par la loi du 27 décembre 2012 sur la mise en œuvre de la participation du public. Ce CNTE rend des avis structurants sur les projets de loi sur l’environnement et l’énergie et, à ce titre, s’est notamment prononcé sur le projet de loi sur la biodiversité.

  Les entreprises sont associées à d’autres chantiers d’avenir, notamment celui relatif aux nanomatériaux, secteur d’innovation qui implique plusieurs centaines d’entreprises en France. L’amélioration des connaissances et  de l’information sur la présence de ces substances dans notre environnement figure parmi les objectifs de la feuille de route gouvernementale pour 2015. Des groupes de travail ont été constitués en vue de formuler des propositions pour la mise en place, au niveau européen, de stratégies d’étiquetage des produits contenant des nanomatériaux, et pour lancer des campagnes de mesures autour des sites de production.
Finalement, l’organisation de la 21e Conférence mondiale sur le climat en 2015 (COP21) : en tant que pays-hôte, la France devra assurer un rôle de facilitateur pour permettre un accord en vue de contenir le réchauffement global en-deçà de 2° C. Les entreprises, qui ont signé une déclaration commune pour affirmer leur engagement à lutter contre le changement climatique, sont associées aux travaux.
 
Responsabilisation des entreprises

° Les vertus de l’exemplarité

  Bon nombre d’entreprises ont d’ores et déjà adopté une démarche volontaire en mettant en place un système de management environnemental, à savoir une méthode de gestion qui permet de s’organiser pour réduire et maîtriser les impacts sur l’environnement (ISO 14001). Cette certification volontaire permet également d’associer les salariés à la démarche et de communiquer sur ses bonnes pratiques environnementales, de candidater à certains marchés publics et d’améliorer son image de marque. Parallèlement à ces initiatives, d’autres entreprises, celles qui exploitent les installations les plus polluantes, se voient imposer (directive relative aux émissions industrielles) la mise en œuvre des Meilleures techniques disponibles (MTD) ce qui vise à favoriser la recherche et la mise en place, de technologies propres.
  Les entreprises sont parfois confrontées à l’application du principe de précaution. Selon ce principe, l’absence de certitude, compte tenu des connaissances scientifiques du moment, ne doit pas retarder l’adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l’environnement, à un coût acceptable. Initialement conçu comme un principe d’action supposant que l’Etat développe des programmes de recherche du risque et des moyens pour éviter sa réalisation, il peut devenir un frein à l’innovation.
 
            ° Une difficile internalisation des coûts des dommages

  On connaît le principe du pollueur-payeur  consistant à imputer au pollueur les dépenses relatives à la prévention ou à la réduction des pollutions dont il pourrait être l’auteur. Pour satisfaire ce principe, des outils ont été mis en place – normes techniques anti-pollution, fiscalité environnementale – qui remplissent plus ou moins bien leur rôle. Face à la difficulté à identifier les pollueurs, la logique du « deep pocket » qui vise à faire payer la personne dont les moyens financiers sont les plus importants, tend à se développer. A titre d’exemple, en l’absence de « pollueur » identifiable ou solvable, la prise en charge des pollutions historiques doit désormais être assurée par le propriétaire du terrain.
 
Le mouvement vers la transition écologique

° La responsabilité sociale et environnementale des entreprises

  Depuis 2001, certaines informations environnementales doivent figurer en France dans le rapport de gestion des sociétés cotées puis à compter de 2012 de certaines sociétés non cotées. Sur le plan européen, la responsabilité des entreprises d’intégrer ces préoccupations dans leurs activités et dans leur interaction avec l’Etat, les collectivités, les associations et les citoyens,  s’est précisée avec la directive de 2014 sur le reporting extra-financier. Celle-ci impose aux entreprises cotées de plus de 500 salariés la publication annuelle des informations relatives notamment à leurs impacts environnementaux. Cette obligation concerne 6000 entreprises dans l’UE.
 
          ° La transition écologique et énergétique

  La transition écologique consiste à adopter un nouveau modèle économique et social renouvelant nos façons de consommer, produire, travailler, vivre ensemble. Sont concernés notamment la rénovation thermique des bâtiments, l’adaptation des transports, la gestion de l’énergie, la sobriété en eau, l’économie circulaire, la restauration des écosystèmes et la moindre dépendance aux ressources rares. Une Stratégie nationale de transition écologique vers un développement durable 2015-2020 (SNTEDD) en fixe depuis février 2015 les priorités : viser une société plus sobre, proposer des leviers adéquats pour la transition, renforcer la pédagogie et la gouvernance. Les entreprises sont invitées à y adhérer.
 
  Trois composantes de cette transition sont particulièrement à souligner : la transition énergétique, à savoir passer à une société plus sobre en énergie et faiblement carbonée, avec une limitation de la part du nucléaire et une augmentation de celle des énergies renouvelables (projet de loi de transition énergétique pour une croissance verte) ; l’économie circulaire dans la transition, ou encore minimiser, de la conception des produits jusqu’à leur fin de vie, la production de déchets et l’utilisation de ressources, et favoriser le recyclage ; la croissance verte, c’est-à-dire promouvoir un mode de développement économique respectueux de l’environnement notamment par les éco-activités (assainissement de l’eau, recyclage et valorisation énergétique des déchets, énergies renouvelables…), d’ailleurs créatrices d’emplois. Identifier, faire connaître et instruire les métiers de l’économie verte, voilà un des défis pour demain.                                                                         
 
                                                                                                      Résumé de M.L.H.

 

compte rendu de conférence