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Conférence du docteur Chartier Siben du 18 janvier 2018

Isabelle Chartier Siben
 
LES ATTENTATS ET LEURS SUITES,
REACTIONS EN CHAINE
 

 J’aborde le sujet des attentats et de leur suite en tant que médecin et psychothérapeute et je considère ici la problématique des victimes.
 
Nous verrons au décours de mon propos que les attentats nous ouvrent ou tout au moins nous permettent de comprendre les conséquences de bien d'autres situations de violence.
 
Pour mieux prendre conscience de la situation, il est important de connaître 
 
L'organisation de la prise en charge

Lors de catastrophes (naturelles, technologiques sociétales), le plan ORSEC est déclenché.
C'est le préfet qui en décide et en prend la responsabilité.
 
Le plan rouge alpha, dit de riposte Multi attentats, a été  déclenché pour la première fois lors des attentats du 13 novembre 2015 à Paris.
Ce plan rouge (aujourd’hui appelé NOVI : nombreuses victimes) 
 
est conçu pour, à la fois, :
– Lutter contre le sinistre initial, en l'occurrence ici, tirs, incendie, gaz,  effondrement…,   et  ses effets directs et indirects,
– Soustraire les victimes du milieu hostile,
– Et prendre en charge les victimes.
Et ce, de manière rapide, rationnelle, coordonnée avec des moyens suffisants et adaptés.
 
Est placé sous un double commandement, sur place et à l’arrière.
La particularité française est l'installation d'un poste médical avancé : l'hôpital vient au chevet des blessés.
Lors d'un événement dramatique, les personnes vont réagir, soit par un stress adapté, soit par un stress dépassé (sidération, agitation, fuite panique, action en automate)
D'où l'importance dès ce moment-là d’une prise en charge psychologique assurée par ce que l'on appelle les cellules d'urgences médico psychologiques qui se déplacent avec le SAMU
 
Ces comportements psychiques des premières minutes, des premières heures ne présument pas de la suite.

Historique

 Le traumatisme psychique a été repéré dès la fin du XIXe siècle par Herman Oppenheim. 
Malgré cela, il reste méconnu par les cliniciens et les experts sauf exceptions de cercles très restreints.

Ce n'est qu'en 1980 que la névrose traumatique fait son entrée dans les célèbres classifications du DSM 3, bible des psychiatres, classification américaine « manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux", sous le nom de PTSD ou en français ESPT.
Et grâce à la collaboration entre militaires et civiles, qui reconnaissent mutuellement leurs travaux, est créée au lendemain de l'attentat du RER B à Saint-Michel le 25 juillet 1995, la cellule d'urgences médico psychologique CUMP à la demande de Jacques Chirac. Sa présidence est confiée au professeur Louis Crocq.
 
En quelques années la psycho traumatologie est devenue la discipline probablement la plus étudiée dans le champ de la psychiatrie et de la psychologie mondiale.
 
Conceptualisation du traumatisme psychique
 
 En 1920 Freud propose une spéculation psychanalytique concernant la genèse du traumatisme et choisit de décrire le fonctionnement de l'appareil psychique sur le modèle de l'organisme vivant.  
 
 On imagine l'appareil psychique comme une vaste vésicule vivante (genre ballon de baudruche). Le trauma se définit alors comme une "effraction" au sein même de l'appareil psychique (et non plus une simple déformation temporaire de l'enveloppe protectrice comme lorsqu'il existe un stress). Il survient lorsque l'appareil psychique n'a pas pu s'adapter, n'a pas pu résister. Les défenses psychiques ont été dépassées soit par la violence, soit par l'horreur, soit par "le non représentable", "le non ellaborable". Le trauma va franchir l'enveloppe protectrice, pénétrer, se ficher à l'intérieur du psychisme et y rester. 
 
1/ Ce modèle est particulièrement intéressant car il est confirmé depuis ces dernières années par les avancées des études en neurosciences. Il correspond  au circuit hypothamo-amygdalo-cortical et à la fonction régulatrice de « banques de données » de l’hippocampe.
 
2/ Ce modèle a l'avantage de bien faire comprendre les conséquences à court et à long terme d'un trauma. Le trauma fiché à l'intérieur va désormais exister de manière autonome.
 
Il peut rester silencieux des mois des années, c’est ce que l’on appelle le temps de latence, ou il peut s’exprimer de manière caractéristique dès les premières semaines par le syndrome de répétition. 
 
Le syndrome de répétition encore appelé intrusion ou reviviscence est pathognomonique.
 
Les images, les bruits, les odeurs, les émotions, les sensations reviennent à l'état brut déconnectés de la réalité, non intégrés, non travaillés ; la personne est soudain submergée par une image qui appartient au passé et sur laquelle elle n'a aucune prise.
 
Il faut savoir que l’on retrouve exactement le même schéma traumatique dans les cas d’abus sexuels ou de graves maltraitances à répétition (des agressions, humiliations, manipulations....) ; à chaque fois que les capacités d’intégration sont dépassées et que l’on est, par là même, confronté au néant de représentation.
  
 
Non traité le syndrome post traumatique peut conduire à une altération de la personnalité.

Qui est concerné ?
 
 Sur site, on retrouve
 
En plus des blessés, les sauveteurs professionnels (forces de l'ordre : police, gendarmerie, armée et leurs élites, pompiers, secouristes de la Croix-Rouge), les soignants professionnels, les citoyens bénévoles…
 
Les professionnels sont formés et préparés et malgré cela, et devant l’horreur,  ils peuvent présenter un phénomène de stress dépassé, un traumatisme psychique et sur la durée un burnout.
 
 A l'hôpital

Infirmiers, médecins, chirurgiens ne sont pas préparés à ces blessures de guerre. Là aussi le risque de trauma est important
 
Et bien évidemment,  les familles et les amis qui vivent une angoisse démesurée.
 
Finalement, ces attentats touchent la société dans son ensemble.
 
 
Le suivi et la prise en charge des victimes d'attentats sur le long terme vont s'appuyer sur différentes démarches, différentes propositions :
 
Les approches thérapeutiques :

Chimiques, par des médicaments pour écrêter des symptômes trop douloureux,

Psychothérapeutiques,
Quelle que soit leur approche conceptuelle, elles doivent être pratiquées par des thérapeutes qui ont connaissance du psycho trauma.
Elles visent à intégrer le souvenir pour que le trauma perde progressivement son potentiel pathogène et puisse faire partie du récit autobiographique de la personne.

Les associations 
 
Soit Permanentes (telle l'INAVEM), soit associations de victimes de tel ou tel attentat
 
 (En 1990 grâce à Françoise Rudzeski le statut de victime civil de guerre est obtenu pour toutes les victimes du terrorisme et les otages.)
 
Elles sont dans tous les cas très importantes. Elles apportent une aide psychologique, une information sur les droits et un soutien dans les démarches.

Mais aussi associations de victimes qui se réunissent pour des activités de loisirs telle la plongée. 
 
Jouent aussi un rôle qui à chaque fois et selon chacun peut être positif ou négatif :
 Les célébrations et les commémorations.
 
Les indemnisations
 
Le procès 
 
Les médias

Les maisons d'édition .....
 
A chaque étape de la reconstruction il est important de redonner du sens, retrouver du sens.
 
Aristide Barrault, joueur de rugby professionnel, qui était devant le petit Cambodge le 13 novembre 2015 et a été très lourdement blessé, à qui l'on demande pourquoi il met tant d'énergie à se reconstruire, ne respectant pas les consignes de prudence de son médecin, il répond: 
« Je fais ça pour tous les gens qui sont morts…. Chaque goutte de sueur que je verse depuis des mois, chaque grimace de souffrance est ma façon de leur rendre hommage. Pour mon orgueil, pour leur honneur. »
 
 
Pour ma conclusion je laisserai la parole à Aristide Barreau et à l'un de mes patients :
 
Bien mieux que moi ils vous diront toute la complexité du monde dans lequel ils sont entrés
 
 Aristide :
 
« Tout le monde peut descendre dans la rue et tuer des gens. Mais ne pas sombrer dans la haine après ce qu’on a vécu, c’est une bataille de tous les jours, c’est pour les durs. On est des résistants face à la tentation de la chute. On est des maquisards de l’apaisement. Comme les autres, je résiste entre le marteau des douleurs et l’enclume des tourments. »
 
Monsieur S :
 
  « C'est à Zaventem que je me suis rendu compte qu'on est des hommes avec un grand H. Tous les statuts, tous les carcans sociaux foutent le camp. Avant, dans l'aéroport les gens ne se parlaient pas, subitement ça pète, c’est l’effroi … et des choses belles, sublimes se passent.
 
C'est une leçon d'humanité exceptionnelle, on n'était plus juif, musulman, chrétien, athée ; on était nu et perdu, on était nu et semblable et chacun priait ensemble. »