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Conférence de l'Amiral Giraud

Le général Giraud : Le Libérateur oublié.

Conférence de l'amiral Giraud effectuée le 14 décembre 2017
(Résumé fourni par le conférencier)
 
Né à Paris, le 18 janvier 1879 Henri Giraud fait de brillantes études au collège Stanislas (il est lauréat du Concours général en Histoire-Géo à 13 ans), puis au Lycée Saint-Louis où il prépare Saint-Cyr dont il sort dans les premiers à la fin de l’année 1900 et choisit de servir dans l’Empire. C’est le début d’une impressionnante carrière militaire.
 
Capitaine lors de la déclaration de guerre, il monte au front à la tête de sa compagnie du 4e Zouaves. Blessé d'une balle au poumon à la bataille de Guise, le 30 août 1914 en chargeant une batterie ennemie, laissé pour mort sur le champ de bataille, puis ramassé par des brancardiers allemands, soigné et fait prisonnier, il s’évade deux mois plus tard, avec encore un drain dans le poumon, et, gagne la Belgique, la Hollande puis l’Angleterre au cours d’un périple audacieux à travers les lignes ennemies.

De retour en France au début de l’année 1915, il demande à retourner au front qu’il ne va plus quitter. Il s’empare le 23 octobre 1917 à la tête de son bataillon du 4e Zouave du Fort de la Malmaison tenu par la Garde Impériale du Kaiser sur le chemin des Dames puis participe à toutes les offensives de 1918.

Après 4 ans de guerre, une blessure mortelle, une évasion et des exploits militaires  retentissants, figure emblématique de cette cohorte d’officiers qui vingt ans plus tard marqueront l’histoire, Giraud termine la guerre avec cinq citations dont quatre à l'ordre de l'armée.

En 1920, souffrant des séquelles de sa blessure au poumon, il est placé en non-activité pendant deux ans mais en mars 1922, quand éclate la guerre du Rif, est rappelé par le maréchal Lyautey qui le donne en exemple à ses officiers : « Regardez Giraud, il est grand en tout : il est grand par la taille, par le cœur et par l’intelligence. ».

Giraud est à nouveau très grièvement blessé en juillet 1925.

A peine remis, jouant de la ruse et de l’audace face à la marée rifaine et contre tous les pronostics, il sauve la ville de Taza à la tête de son régiment de tirailleurs et, le 27 mai 1926, reçoit la reddition à Targuist, du chef rifain Abd-el-Krim, qu'il ramène dans les lignes françaises. Son nom et sa photo à côté de son célèbre prisonnier font alors la Une du journal « Le Petit Parisien ».

En juillet 1927, promu colonel, Giraud  est nommé professeur du cours d'Infanterie à l'Ecole Supérieure de Guerre. Le général Duffour, commandant l’école dit de lui « le colonel Giraud a le sens de ce que l’avenir peut préparer à l’infanterie, et sait ouvrir des perspectives sur l’évolution de cette arme. » Ce que confirmeront de Lattre et Navarre qui ont été ses élèves. En effet selon Navarre, dès 1927, Giraud “envisageait déjà l’hypothèse dans laquelle il existerait des chars rapides formant des unités autonomes destinées à percer.

En mars 1930, général de brigade, Giraud prend le commandement des Confins algéro-marocains, et malgré une troisième blessure, achève à l’aide des chars et de l’aviation l’œuvre de Lyautey en obtenant en quatre ans la pacification du Maroc qui établit  définitivement la monarchie chérifienne sur le trône. Le jeune lieutenant de Hautecloque, le futur maréchal Leclerc, qui sert alors sous ses ordres, écrit  de Giraud à ses parents : « La qualité maitresse de ce chef, c'est qu'il ignore la peur (...) Au Maroc, on voit encore commander. Or de même que c'est une joie pour un sportif de voir galoper un beau cheval, c'est une vraie joie, je dirais presque, artistique, de voir commander un grand chef...”

Giraud est nommé le 11 mars 1934 à la tête de la Division d'Oran puis, à compter d'avril 1936, promu général de corps d’armée, devient gouverneur militaire de Metz, véritable forteresse militaire française face à l’Allemagne, où il a sous ses ordres, les colonels de Lattre et de Gaulle.

Lors de la réoccupation de la Rhénanie, Giraud presse l'Etat-major de riposter et dit : “Laissez-moi faire, j'ai 100.000 hommes prêts à foncer et personne en face. Ce soir je couche à Mayence. Vous pourrez alors discuter.”

Peu avant l'affaire de Munich, il propose en juillet 1938 à l’état-major l'occupation préventive de la Sarre, mais dans un cas comme dans l’autre il n'est malheureusement pas entendu.
Promu général d'Armée, Giraud réalise en mai 1940 la manœuvre Breda (une des rares  grandes offensives françaises de la guerre de 1940), à la tête de la VIIe Armée à laquelle Gamelin l’arrache le 15 mai pour le nommer en catastrophe à la tête de l’IXe Armée alors en pleine débâcle devant la ruée des panzers à travers les Ardennes.
Le 19 mai 1940, Giraud, toujours en première ligne, tombe aux mains du PanzerGruppe du général Von Kleist et il est transféré dans la forteresse de Königstein (Saxe). Il refuse de prêter serment de ne pas s’évader. Et écrit en septembre sa fameuse « Lettre à ses enfants » qui commence par ces mots : « Je vous interdis de vous résigner à la défaite… » Et qui va connaître un grand retentissement en France occupée.

Deux ans plus tard, le 17 avril 1942, à 63 ans et malgré les séquelles de nombreuses blessures, Giraud  s’évade de cette forteresse en descendant un a pic de 40 mètres avec une corde qu’il a tissée lui-même puis, après un périple mouvementé de 800 kilomètres à l’intérieur du Reich, poursuivi par la Gestapo,  il parvient ,grâce au concours des résistants alsaciens et lorrains dont plusieurs le paieront de leur vie, à regagner la zone.

Stigmatisée publiquement le 22 juin 1942 par Laval, dont elle torpille la politique de collaboration, cette « évasion retentissante » est le premier camouflet à Hitler sur le territoire même du Reich. Lors d’un discours aux Communes, Churchill lui rend cet hommage : « Giraud, l’homme qu’aucune prison ne peut retenir. »
Refusant de se constituer prisonnier comme le lui demande Vichy, Giraud, prend contact avec les Américains et organise l’ORA (l’Organisation de résistance de l’Armée) à la tête de laquelle il désigne le général Frère qui sera déporté et mourra en Allemagne.

Le 7 novembre 1942, poursuivi par le SD qui a reçu l’ordre personnel d’Hitler de l’abattre (comme le procès de Nuremberg le révèlera), Giraud s’évade de France à bord d’un sous-marin, et se rend à Gibraltar où il rencontre Eisenhower qu'il tente vainement de convaincre d'étendre le débarquement allié en AFN à la Tunisie.
Dès son arrivée en AFN, les Américains jouant la carte politique Darlan, Giraud se lance dans la bagarre contre les Allemands et, le 19 novembre 1942, relève l'ultimatum de Von Rundstedt : la bataille de Tunisie commence. Mal armés, mal équipés, 80.000 soldats français font preuve d'un héroïsme quotidien durant cinq mois. Le bilan est terrible : 10.000 tués et disparus. Un combattant sur huit.

Le 28 novembre 1942, le général Giraud, héros de la Grande Guerre et de la campagne du Maroc, est déchu par Vichy de la nationalité française. Ses biens sont confisqués et sa famille est déportée en Allemagne.

Fin décembre 1942, après l’assassinat de l’amiral Darlan, il devient commandant en chef civil et militaire de l’Afrique du Nord et en janvier 1943 lors de la conférence d'Anfa, il obtient de Roosevelt le réarmement de l’armée française qui va lui permettre de tenir sa place dans la bataille d’Europe. « C’est à Giraud et à lui seul que l’on doit le réarmement de l’armée française », écrit le Pr. Philippe Masson.

La célèbre photo de sa poignée de main avec de Gaulle, en présence de Roosevelt et Churchill, fait le tour du monde.

Le 20 mai 1943, dans Tunis libéré,  Giraud et Eisenhower président côte à côte le défilé de la victoire. Roosevelt écrit à Giraud : « J'exprime l'admiration du peuple de l'Amérique en saluant la brillante contribution des forces françaises sous votre commandement, qui vient d'aboutir, hier, à la délivrance de Tunis et de Bizerte. »

Afin de réaliser l’union de tous les français combattants, Giraud invite de Gaulle à le rejoindre à Alger et, le 3 juin 1943, ces deux généraux créent ensemble le CFLN (le Comité Français de la Libération Nationale) qu’ils co-président.

Sans l’aide des Alliés qui trouvent l’affaire trop risquée et contre l'avis de De Gaulle et des membres du CFLN qui prédisent un «bain de sang», Giraud libère la Corse en trois semaines avec l’appui de la Résistance corse.

Mais suite à des manœuvres politiciennes, Giraud se voit retirer ses attributions de co-président en novembre 43, le général de Gaulle assumant désormais seul le pouvoir politique.
Commandant en chef de l’armée française réunifiée (Armée d’Afrique et FFL), Giraud, partisan de l’offensive danubienne, lance le corps expéditionnaire français commandé par Juin dans la campagne d'Italie.

Mais, coup de théâtre le 14 avril 1944, le général de Gaulle décide de supprimer le poste de commandant en chef des forces françaises. Le Général Giraud est donc limogé en pleine guerre !

Deux raisons majeures expliquent ce limogeage :
-Une de politique intérieure : le Général de Gaulle voulait apparaître comme le seul libérateur. Or  il est certain que si Giraud commandant en chef avait libéré le pays à la tête de l’Armée française réarmée par ses soins, il serait apparu aux yeux de la population comme le vrai libérateur !
-Une pour cause de différent géostratégique avec le général de Gaulle alors seul  président du CFLN qui avait – contrairement au Général Giraud qui souhaitait, dès l’Italie reconquise,  foncer sur Berlin à travers le « ventre mou de l’Europe « selon la fameuse formule de Churchill -choisi de prendre le parti de Staline et souhaitait, selon ses propres mots « que les Russes entrent à Berlin avant les Américains ».

On sait ce qu’il en advint : Une mainmise soviétique sur toute une partie de l’Europe pendant des décennies !

Ceux qui évoquent avec condescendance  le peu de sens politique de Giraud peuvent méditer ce point !

Relégué à Mazagran, Giraud y est victime d'un attentat le 28 août 1944, dont il se  sort miraculeusement. Il réclame en vain la grâce de son assassin au général De Gaulle qui donne le 30 janvier 1945 l’ordre d’exécuter celui-ci.

Rentré en France fin 1944, Giraud  tente de retrouver sa famille (sa femme, quinze enfants et petits-enfants) déportée à Friedrich roda (Thuringe) où est morte sa fille ainée, Renée.
Elu député de la Moselle en 1946, Président des Evadés, Président du Comité de la Flamme, Giraud exerce jusqu’au 15 décembre 1948 les fonctions de vice-président du Conseil supérieur de la Guerre et écrit deux livres : Mes Evasions (1946) ; Un seul but la victoire (1949).

Après avoir reçu sur son lit d’hôpital la Médaille militaire, distinction suprême pour un général ayant commandé en chef devant l’ennemi, il décède à Dijon, le 11 mars 1949.
Le 17 mars, lors de ses obsèques nationales, Paul Ramadier, président du Conseil, et Max Lejeune, ministre de la Défense, prononcent son éloge funèbre. Son corps, exposé sous l’Arc de triomphe, est ensuite conduit dans la crypte des Invalides où il repose parmi ses pairs.

Sa quatorzième et dernière citation dit ceci : "Chef prestigieux, aux états de service splendides, s'est évadé en avril 1942 de la citadelle de Königstein, exploit tenant de la légende... Présent à Alger à l'heure décisive, a pris une part déterminante à la rentrée en guerre… A réussi la libération de la Tunisie et quelques mois plus tard, en une action d'une audace extrême, avec des moyens réduits uniquement français, s'appuyant sur les combattants du maquis, a libéré la Corse, premier département métropolitain repris à l'ennemi. Enfin, de 1942 à 1944, a hautement contribué à organiser l'Armée française de la Libération qui devait s'illustrer dans les campagnes d'Italie, de France et d'Allemagne.  Soldat magnifique, d'un courage jamais abattu, d'une dignité égale à son abnégation, compte parmi les gloires les plus pures de l'Armée française. »

On peut donc retenir du Général Giraud une grande œuvre, un immense chef militaire, un vrai patriote parfaitement désintéressé qui ne mérite assurément pas l’indifférence – quand ce n’est pas l’ingratitude- qui entoure son souvenir :
Pas une place ni une rue de Paris -sa ville natale- ne porte son nom, pas une promotion de Saint-Cyr ne porte le nom de cet immense Soldat.

Il est bien le grand libérateur oublié .Mais le combat pour la vérité continue et nul doute qu’un jour le Général Giraud recouvrera la place qui lui revient légitimement dans l’histoire de notre pays.